
Photo Angèle PAOLI Arbousier en fruits
La Part d’aurore
A Marie-Ange Sebasti, in memoriam
et pour nous qui restons.
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Reste la part d’aurore insaisie
des mots et des visages, cette réserve
que leur donne la vie
et que la mort semble nous ôter.
Ton espoir d’une joie qui viendra
peut-être était plus qu’une attente,
une lutte contre la dépossession et la perte
une quête patiente d’un bonheur
qui ressemble à notre rencontre
suspendue entre son commencement
lointain et ta fin qui nous devance.
Première fois de la vraie connivence
en un midi de juin place Saint-Sulpice
où nous étions conviées ensemble à la page
encore inécrite d’un rendez-vous d’amis.
A la Maison de la Chine, quatre à partager
un clair-obscur rubis, trésor propice
à la conversation. Quatre à chuchoter
bien des mondes intérieurs et à tirer des lignes
d’or jusqu’aux portes ouvertes de la poésie.
L’azur n’était pas loin, qui accordait nos voix
et desserrait les nœuds gordiens du noir.
Marges arides ou haute plage,
nos vies s’étaient souvent croisées
à Lyon en palabre dans une librairie
ou à Paris en caravane d’orage
réfugiées dans un café.
Et alors seules ou accompagnées
nous laissions tomber les mots comme
tombent derrière la vitre discrets
les premiers flocons d’un secret juste
effleuré. Dans ces villes éphémères
ils s’évanouissaient en laissant derrière eux
les traces d’une clarté, et en moi ton sourire.
Un sourire comme un simple morceau de ciel
et cela peut suffire à l’hirondelle pour voler
vers d’autres lieux vers d’autres solitudes.
Heures maintenant de l’hivernage, le temps
devient parvis de la fidélité à ton écriture
telle petite chapelle d’où nous parviendrait
le son vigile de la cloche appelant
au dialogue les vivants et les morts
pour une suite à réinventer avec et sans toi
– puisque.
Mise en terre de ton corps a eu lieu
mise au jour sera petite épiphanie du poème.
Son silence sonore enracine la douleur
de ton absence pour mieux faire sentir
en son respir ton impalpable présence.
Nous ne sommes plus que deux sur
les quatre de jadis à fréquenter sa mémoire
pour écouter encore les vieilles syllabes
blotties, cette berceuse que te fredonnait
ta grand-mère, chant de l’amour illimité
chant d’enfance - et au-delà
qui nous offre avec fleurs et bijoux
les mots à poser sur la vie et sur ta mort.
La parole des femmes, mère grand-mère
sœur ou amies, est parfois une infinité
où l’on se baigne, mer charnelle et spirituelle
qui laisse entrer en soi l’univers, les langues et
les mythes, et pour toi et ton aimé ces noms de lieux,
Mésopotamie Grèce Rome, Corse des origines.
En cet Occident méditerranéen relié à l’Orient
par une géographie d’amour, en ce berceau
d’histoire ancienne tu t’es nourrie de tant de savoirs
de tant de traversées que ton existence y demeure.
De ton île natale aux vastes continents, en mortelle
tu as voyagé, accostant des joies et des chagrins
définitifs. Avec l’âge peu à peu tu es devenue
comme tous, la proie de ce désert ignoré
imposant une soif qui peine à inventer ses puits.
Douleurs sans remède des deuils puis de la maladie
qui assèchent et tarissent nos jours. Auparavant
les sources de l’amour les ressources des livres
que tu as lus traduits écrits t’avaient initiée
au royaume terrestre et céleste, aux vanités
à la poussière. Dans les sables de l’adieu,
ils nous ont aussi aidés à t’accompagner
au bout de ton chemin de croix et de lumière.
Tes funérailles dispensaient une parole
de sagesse, une foi qui proclamait l’amour
plus fort que la mort. Elle convertissait
notre peine en prières et en poèmes.
Leurs notes bleues gardent l’inflexion unique
de ta voix et le visage de ta bienveillance.
Leur part d’aurore en nous – à jamais saisie.
Sylvie Fabre G. , La part d'aurore [inédit]